Le Campus Cyber, nouveau lieu-totem pour la cybersécurité en France
Le Campus Cyber, qui doit fédérer la communauté de la cybersécurité française, ouvre ses portes mardi 15 février. Grands groupes, pépites innovantes, organismes publics et écoles d'ingénieurs seront de la partie.
Mis à jour
15 février 2022
Le pire cauchemar des hackers va bientôt devenir une réalité : les meilleurs experts en cybersécurité du pays s’apprêtent à unir leurs forces, grâce au Campus Cyber. Ce projet, inauguré ce mardi 15 février en présence du président Emmanuel Macron, compte déjà plus d’une centaine de membres, issus de multiples secteurs d’activité. « Quelle que soit leur taille, les entreprises ont tout intérêt à renforcer leur protection numérique afin de lutter contre la cybercriminalité croissante », explique Michel Van Den Berghe, le président de ce campus.
En juillet 2019, le gouvernement avait demandé à l’ancien directeur général d’Orange Cyberdefense de plancher sur un moyen de réunir les principaux acteurs de la cybersécurité française. Deux ans plus tard, après avoir étudié minutieusement les initiatives similaires en Russie, aux États-Unis ou en Israël (le CyberSpark de Beer Sheva aurait particulièrement tapé dans l’œil d’Emmanuel Macron), le concept a débouché sur la création d’une société aujourd’hui dotée d’un capital de 8 millions d’euros, dont 3,5 millions d'euros financés par l'Etat.
C’est au sein de la tour Eria que quelque 1 800 spécialistes en sécurité informatique travailleront quotidiennement d'ici au mois de mai, lorsque les derniers aménagements auront été finalisés. Ce bâtiment de 26 000 m2 et de 13 étages, situé dans le quartier de La Défense (Hauts-de-Seine) pour une accessibilité optimale, leur sera entièrement réservé. Il accueillera aussi bien des organismes publics (Anssi) que des centres de recherche (CNRS, Inria), quelques entreprises étrangères et des grands groupes français (Orange, Capgemini, Safran, Atos, Sopra Steria, Thales, Airbus…).
Le Campus Cyber abritera aussi des pépites françaises, comme Gatewatcher, YesWeHack et Tehtris. Spécialisée dans la lutte contre le cyberespionnage, cette dernière disposera de 16 places, ce qui représente 8 % de son effectif. «Nous avons été immédiatement emballés. Ce projet permettra de rapprocher les territoires et de resserrer le tissu industriel pour équiper les demandeurs avec des solutions françaises, s’enthousiasme sa cofondatrice, Éléna Poincet. Le secteur de la cybersécurité est dans une course à l’armement, il faut donc exister sur le marché et avoir de la visibilité.» Un incubateur de start-up aidera par ailleurs à faire émerger les technologies qui deviendront indispensables demain.
Faire naître des vocations
Les experts de demain prendront également part à cette aventure : 150 à 200 étudiants suivront chaque année des formations en cybersécurité grâce à la présence de plusieurs écoles, comme Simplon.co, Efrei Paris et Epita. «Dès l’ouverture, nous installerons au sein du Campus des enseignements de notre majeure Systèmes, réseaux et sécurité, de celle sur les télécommunications et de notre tout nouveau bachelor en sécurité du numérique», précise Joël Courtois, le directeur d’Epita.
Quel que soit leur cursus, les étudiants auront la chance de faire intervenir facilement les meilleurs experts en cybersécurité et de s’entraîner sur les outils les plus performants du marché. Une fois diplômés, ils connaîtront déjà de nombreuses entreprises du secteur, parfois situées seulement un étage au-dessus. Leur employabilité sera ainsi sûrement renforcée.
Mettre la formation au cœur de ce projet est une initiative plus que bienvenue, car 5 000 postes sont à pourvoir dans la cybersécurité en France. Mais pour résoudre durablement le problème de pénurie de talents, il paraît impératif de faire naître des vocations dès le plus jeune âge. « Casser cette image de geek bidouilleur à capuche boutonneux est un travail de longue haleine », reconnait Joël Courtois. Des collégiens et lycéens devraient rapidement être invités afin de découvrir la diversité des métiers du secteur. Des formations continues seront aussi proposées aux ingénieurs désireux d’améliorer leurs compétences ou de les mettre à jour.
COLLABORER POUR LUTTER
Enfin, le site comprendra 30 % d’espaces collaboratifs. Au-delà des conférences, des tables rondes, des ateliers ou des jobs dating qui y seront fréquemment organisés, il s’agit de mettre en place des synergies concrètes. « Nous ne voulions pas d’un WeWork. Le but est de développer de véritables projets communs », abonde l’ancien directeur général d’Orange Cyberdefense. Certains d'entre eux sont d’ailleurs déjà sur les rails : un grand observatoire français de la cybersécurité, une base commune de « threat intelligence » permettant aux différents membres de partager des indicateurs de compromission ou des consortiums visant à sécuriser la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux Olympiques de 2024.
Mais les entreprises auront-elles réellement envie de révéler les rouages de leurs méthodes, alors qu'elles cherchent à se démarquer sur ce domaine qui devient de plus en plus compétitif ? « La collaboration et l’émulation au sein du Campus Cyber n’ont pas vocation à lever les secrets industriels et intellectuels de chacun des membres », rassure Elena Poincet. Comme l'explique Michel Van den Berghe, il ne s'agit pas de tout mettre en commun, mais suffisamment pour améliorer la sécurité de l'ensemble de l'écosystème : « Les gens sont prêts à jouer le jeu, la cybercriminalité se développe tellement vite qu'on a tous intérêt à collaborer. D'ailleurs, les hackers aussi se rassemblent pour être plus efficaces ».
En rassemblant les pointures du secteur dans un même espace, la France espère aussi réagir plus efficacement en cas d’attaques massives, comme ces derniers mois aux États-Unis, après que Colonial Pipeline, JBS ou Kaseya ont été visés. Pour les entreprises françaises, la demande d’accompagnement et les démarches administratives devraient également être facilitées. Un soutien capital, car selon une étude du Club des experts de la sécurité de l’information et du numérique, plus de la moitié d’entre elles ont été victimes d’une cyberattaque en 2021.
Déjà des projets d’extension
Devant l’enthousiasme suscité par le projet du Campus Cyber, les responsables réfléchissent déjà à une extension à l’horizon 2024. Le site serait cette fois implanté dans les Yvelines, pour disposer d’un maximum d’espaces extérieurs, et pourrait notamment se focaliser sur la cybersécurité industrielle (sécurisation des véhicules connectés, des chaînes de production, des drones). En attendant, des annexes du Campus Cyber devraient prochainement ouvrir hors de Paris, afin « d’amener la cybersécurité là où se feront les grandes opérations de transformation numérique », indique Michel Van Den Berghe, le président du Campus. Plusieurs régions auraient déjà manifesté leur intérêt, conscientes de l’importance capitale d’une telle démarche pour garantir un développement économique serein.
Vous lisez un article du supplément "Guide de l'ingénieur" de L'Usine Nouvelle 3699 - novembre 2021