Publicité

Droit pénal des affaires : la relève

ENQUÊTE La nouvelle génération d'avocats doit inventer une nouvelle façon de travailler, une nouvelle défense. Sortir - un peu - de la confrontation pour apprendre - beaucoup - à négocier avec les magistrats. Tour d'horizon des sept défis qu'ils doivent relever.

Droit pénal des affaires : la relève
(photos : Clarrisse de Lauriston/Studio l'Etiquette/Yann deret/Stéphanie Caron/Jean Pierre Nguyn, Jérôme Aoustin/Joel Saget/Emanuele Scorcelletti/Photo Madeleine/DR)

Par Valérie de Senneville, Delphine Iweins

Publié le 19 sept. 2018 à 11:23

Ils sont la nouvelle génération d'avocats pénalistes d'affaires. Là où, il y a une vingtaine d'années, entreprises et patrons pris dans les premières grandes affaires financières avaient choisi les avocats de « voyous » pour les défendre, ces jeunes avocats doivent aujourd'hui inventer une nouvelle façon de travailler avec les magistrats.

Ils ont beaucoup observé et appris de « la bande des sept » (Pierre Haïk, Thierry Herzog, Jean-Yves Le Borgne, Patrick Maisonneuve, Olivier Metzner, Francis Szpiner, Hervé Temime) qui, à la fin des années 1990, trustaient le marché du droit pénal des affaires. Normal, ce sont eux qui, après avoir traîné leur robe noire dans les prisons auprès de grands délinquants, ont inventé cette manière si particulière de traquer la faute de procédure dans un dossier, tout en continuant de rugir dans les prétoires. Ce sont eux qui, fins stratèges, rois de la formule qui cingle, ont su capter l'attention des médias.

Les pénalistes sont devenus les vraies stars du barreau, loin devant, maintenant, les avocats d'affaires qui ont eu leur heure de gloire dans les années 1980 au moment des grandes OPA. Les grands fauves sont toujours là. Mais certains ont formé les jeunes loups qui vont leur succéder. Et cette jeune génération a su faire la synthèse entre les deux barreaux. 

Signe des temps, les anciens pénalistes du cabinet Metzner ont été chassés par les cabinets anglo-saxons, plutôt rois du droit des affaires à Paris : Antonin Lévy, qui défend notamment François Fillon dans l'affaire des emplois accordés aux membres de sa famille, exerce désormais chez Hogan Lovells ; Aurélien Hamelle est passé par Allen & Overy avant de rejoindre Total comme directeur juridique. « Nos méthodes de travail se rapprochent de plus en plus de celles des avocats d'affaires tant au niveau de la technicité que de la compréhension des enjeux financiers et corporate », confirme Alexis Werl, associé du cabinet Dermott.

Publicité

Nous sommes dans l'obligation de prendre en compte la défense, le droit, la logique économique, le risque médiatique, le risque pour les salariés » Fonction

Ils sont donc nombreux, aujourd'hui, à surfer sur cette nouvelle vague du pénal financier. Certaines de nous faire de « nouveaux amis », nous avons sélectionné dix de ces jeunes avocat(e)s qui, chacun(e) à leur manière représente le futur de cette matière si particulière. Cinq hommes et cinq femmes : Léon Del Forno, Antoine Maisonneuve, Astrid Mignon Colombet, Stéphane de Navacelle, David Père, Camille Potier, Clarisse Serre, Antoine Vey, Bérénice de Warren… 

Ils font partie de cette jeune génération de pénalistes qui doit apprendre à travailler avec des responsables de communication, se colleter plus que leurs aînés la presse et les réseaux sociaux tout en gardant les réflexes de la défense, garants de leur crédibilité auprès des magistrats. Tour d'horizon des défis qu'ils doivent relever.

Changer les mentalités 

A remarquer tout d'abord la place des femmes. Là où des Emmanuelle Kneuzé, Jacqueline Laffont, Françoise Cotta ou encore Frédérique Beaulieu ont dû s'imposer dans un monde dominé par les « tenors », les femmes revendiquent aujourd'hui une place à part entière. La preuve, l'Association des avocats pénalistes a été présidée par une femme, Corinne Dreyfus-Schmidt, de 2008 à 2016.

Et dans un blog vengeur, Julia Minkowski, s'est insurgée contre les propos « affligeants » d'un confrère qui affirmait qu'il n'y avait « pas d'avocates qui soient des avocates de renom, connues comme de grandes pénalistes ». La jeune avocate pénaliste, associée du cabinet Temime, a créé le Club des femmes pénalistes.

Les profils changent. La manière de travailler aussi. Mais il faut encore changer les mentalités 

« Cela reste dur pour les femmes », constate Camille Potier. A quarante-deux ans, cette avocate au sein du cabinet américain Mayer Brown s'est déjà taillé une solide réputation dans la défense des sociétés ou de leurs dirigeants. Elle a notamment défendu un trust dans l'affaire de fraude fiscale du grand marchand d'art Guy Wildenstein ( relaxé). Mais elle s'entend encore dire de la part d'un confrère croyant lui faire une fleur : « Fais ch… le client veut une femme. J'ai dû donner ton nom. » (sic). « Il faut que l'on arrête d'être élégantes, trop polies, de s'excuser d'être arrivées », affirme l'avocate élue au Conseil de l'Ordre de Paris.

« Les profils changent. La manière de travailler aussi. Mais il faut encore changer les mentalités. Le problème est déjà de pouvoir accéder au chef d'entreprise. Les affaires se font encore trop entre hommes », renchérit Clarisse Serre. L'avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, qui conseille entre autres la série « Engrenages », est surnommée « la lionne » par certains de ses confrères. Comme quoi les fauves se conjuguent aussi au féminin.

Connaître les droits anglo-saxons 

Aujourd'hui, rares sont les dossiers importants en pénal des affaires qui n'ont pas de ramifications dans d'autres pays. « On s'ancre dans une histoire, mais tous les grands dossiers aujourd'hui, que ce soit de risque industriel (Concorde, AZFou de corruption en raison des données sous-jacentes au droit pénal, supposent toujours d'avoir un oeil international », constate Astrid Mignon Colombet, managing partnerdu cabinet Soulez Larivière.

Il faut être aussi pédagogiques que polyvalents dans la compréhension des autres systèmes de droit et faire comprendre le nôtre 

Publicité

Alors, pour cette nouvelle génération d'avocats pénalistes, la connaissance des systèmes judiciaires étrangers, particulièrement anglo-saxons, est un impératif. « On vient nous chercher parce que les compétences sont différentes. Il faut être aussi pédagogiques que polyvalents dans la compréhension des autres systèmes de droit et faire comprendre le nôtre », analyse Camille Potier. Inutile aussi de faire l'impasse sur l'anglais : « Tous les documents de travail sont en anglais », ajoute l'avocate.

Aujourd'hui, dans les sujets techniques, les pénalistes mobilisent une équipe pour porter un message judiciaire 

L'internationalisation des dossiers implique aussi d'autres méthodes de travail, loin de l'image du pénaliste « lonesone plaideur »« Aujourd'hui, dans les sujets techniques, les pénalistes mobilisent une équipe pour ensuite porter un message judiciaire. Cela demande de la complémentarité et le respect des apports de chacun », indique Antoine Vey, cofondateur du cabinet Dupond-Moretti & Vey, qui a appris dans le sillage du grand pénaliste du Nord, de Metzner et de Spinosi.

Gérer la stratégie médiatique et judiciaire

Et si, comme pour leurs aînés, la maîtrise parfaite de la procédure pénale reste incontournable, la stratégie face à l'utilisation du « vice de procédure » a radicalement changé. « Auparavant, nos aînés pouvaient laisser filer le vice de procédure pour mieux le faire éclater au moment de l'audience. Maintenant c'est fini : tout doit être sur la table et l'on doit parler avec le magistrat, quitte à lui déplaire. Si on n'est pas d'accord on le dit et surtout on l'écrit », souligne Fanny Colin, désormais associée dans le cabinet de Jean-Pierre Versini-Campinchi, aux colères feintes ou réelles aussi connues que ses célèbres noeuds papillons.

On ne peut plus tout miser sur la bonne plaidoirie de fin, l'éloquence ne suffit plus, il faut connaître le dossier par coeur, dans ses moindres détails 

Pour celle à qui Versini a transmis la passion de défendre, l'instruction est aujourd'hui aussi importante que l'audience. « On ne peut plus tout miser sur la bonne plaidoirie de fin, l'éloquence ne suffit plus, il faut connaître le dossier par coeur, dans ses moindres détails », résume l'avocate. Celle qui défend, entre autres Anne Lauvergeon dans le dossier Uramin, avoue aussi que dans les dossiers modernes de pénal des affaires, « il faut gérer la stratégie médiatique et judiciaire : parler à qui, quand, pour dire quoi ? ».

Ce que confirme un autre de ses confrères, Antoine Maisonneuve qui constate qu'« avant, le conseil était assez peu présent en matière pénale ». Le jeune avocat, associé de son père, Patrick Maisonneuve - un de la bande des sept - commence à imposer son prénom et son empreinte personnelle : « Réussir à anticiper le risque pénal est devenu un impératif farouche pour nombre d'entreprises, d'autant plus que les sanctions deviennent de plus en plus lourdes et qu'elles sont généralement assorties d'une médiatisation instantanée avec des répercussions internationales », assure-t-il.

Coopérer avec le parquet plus que résister

Cette relève-là bénéficie de nouveaux instruments juridiques et doit faire face à de nouvelles contraintes pénales. Pour les particuliers comme pour les entreprises, la justice transactionnelle se substitue de plus en plus aux poursuites classiques avec notamment le renforcement des règles de « compliance » et des possibilités de transaction avec les juges.

L'élargissement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) permet depuis 2004 d'éviter le procès au justiciable reconnaissant sa faute mais pas la condamnation tandis que la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), créée en 2017, donne aux entreprises la possibilité de négocier avec le parquet une forte amende en échange de la reconnaissance des faits comme aux Etats-Unis.

Une autre défense est possible, mais elle est à réinventer 

« C'est un univers passionnant. L'entreprise est obligée de repenser complètement sa défense qui n'a plus aucun rapport avec la défense de droit commun sous l'arbitrage du juge judiciaire. Dans ce système de justice, on est plus incité à coopérer qu'à résister. Une autre défense est possible, mais elle est à réinventer », analyse Astrid Mignon Colombet. L'avocate a, notamment, mené avec Jean Veil la négociation de la première CJIP transnationale signée entre Société Générale et le Parquet national financier (PNF) et le Departement of Justice (DoJ) américain sur l'affaire libyenne.

Anticiper et enquêter

De fait, ces évolutions juridiques ont des conséquences importantes sur la manière dont les avocats interagissent avec leurs clients. Le professionnel du droit se transforme parfois en enquêteur pour des multinationales. « Le pénaliste est devenu une sorte d'auditeur du pénal », constate Antoine Maisonneuve. Ce qui n'est pas sans soulever de nombreuses questions : à quoi s'applique la confidentialité, que peut faire l'avocat en respectant sa déontologie, etc.

Le pénaliste est devenu une sorte d'auditeur du pénal 

Stéphane de Navacelle, avocat aux barreaux de New York et de Paris, ancien moniteur de la Banque mondiale pour une entreprise française durant deux ans, se penche actuellement sur le sujet à la demande du bâtonnier de Paris. Les nouvelles règles de mise en conformité pour les entreprises posées par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II) obligent les avocats à être plus proactifs. D'autant que les enquêtes préliminaires se multiplient et la coopération transatlantique entre magistrats dans les dossiers complexes ne sont plus des exceptions.

« Nous sommes beaucoup plus dans l'anticipation. En plus de la pédagogie habituelle sur les règles de droit, nous devons expliquer à nos clients que nous n'aurons accès quasiment à rien jusqu'à un stade avancé de la procédure », détaille Léon Del Forno, associé du cabinet Temime, diplômé de Sciences Po et d'Harvard, qui a débuté sa carrière par les fusions-acquisitions avant de passer la Conférence du stage, prestigieux concours d'éloquence, et d'en devenir premier secrétaire en 2014.

Comprendre les enjeux des clients

L'avenir du droit pénal des affaires réside dans ces profils faisant le lien entre une entreprise et une juridiction : le « litigator » doit, comme ses aînés, fréquenter assidûment les palais de justice tout en disposant d'une bonne compréhension des enjeux de l'entreprise. « Le pénal a changé dans sa relation au client ; les entreprises, les dirigeants doivent être sûrs que l'on comprenne bien leurs enjeux », note Bérénice de Warren, avocate qui se réjouit aujourd'hui de travailler pour le cabinet Veil Jourde« un cabinet qui a anticipé le virage du droit pénal des affaires ».

Il faut avoir une culture de l'entreprise pour réaliser de réels audits et en même temps avoir un vrai oeil de pénaliste pour considérer pleinement les risques. 

« Il faut avoir une culture de l'entreprise pour réaliser de réels audits et en même temps avoir un vrai oeil de pénaliste pour considérer pleinement les risques », reconnaît David Père, « counsel » du cabinet anglo-saxon Bryan Cave Leighton Paisner et ancien du cabinet Veil Jourde. Avant d'ajouter « c'est une illusion de penser que l'on peut être un bon avocat pénaliste des affaires et compliance si on ne dispose pas d'une vraie expérience judiciaire ».

Il existe effectivement des limites à l'anticipation et à l'enquête interne. Elles doivent être mâtinées de réflexes de droit pénal dur, d'une culture de la défense. « La compliance n'est pas l'essence même du pénaliste. Il ne faut jamais oublier que le juge a le dernier mot », insiste Clarisse Serre, cofondatrice du cabinet Serre & Boulebsol.

Négocier, oui, mais jusqu'à quel point ?

Une fine connaissance des magistrats est donc, comme pour leurs aînés, indispensable à la fois à l'audience, mais aussi en cas de négociation. Les entreprises sont de plus en plus enclines à utiliser la CJIP. Les praticiens estiment pourtant qu'elle n'est pas encore suffisamment affirmée dans la pratique pour être correctement utilisée.

« Notre métier évolue mais les magistrats pas tant que ça. Ils n'ont pas oublié leurs bons réflexes et le rapport d'audit peut se transformer en instrument à charge. A ce moment-là, on entre dans un rapport de force », analyse Antoine Maisonneuve qui note que « le juge français ne se comporte pas encore comme le juge anglo-saxon qui est beaucoup plus sensible au travail d'anticipation du client ». La solution ? « Retrouver ses réflexes de pénaliste pur, tout vérifier et… ne rien écrire. »

Même constat pour Antoine Vey. « La justice négociée n'est pas quelque chose qui est inscrit dans notre culture judiciaire. Elle pose de nombreuses questions pratiques que la loi n'a pas réglées, par exemple en cas de refus d'homologation par un juge dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Difficile alors, pour le client qui a 'reconnu les faits', de faire marche arrière. »

Pour l'instant, nous sommes dans un système hybride où les règles du jeu ne sont pas clairement établies 

« Le secret professionnel est un principe mis à mal ainsi que le droit de ne pas s'auto-incriminer », continue l'ancien avocat de Jérôme Cahuzac, en appel. « La négociation ne fonctionne que si l'on se trouve dans une relation de confiance. Pour l'instant, nous sommes dans un système hybride où les règles du jeu ne sont pas clairement établies », ajoute Léon Del Forno, qui défend notamment Franck Fredericks, ancien sprinter Olympique namibien poursuivi dans le cadre de l'instruction menée à Paris sur les soupçons de corruption dans l'attribution des JO 2016 à Rio de Janeiro.

« Nous négocions face à des magistrats qui ne sont pas encore tous passés d'adversaires à partenaires », confirme David Père, qui a obtenu la relaxe d'un de ses clients dans un dossier de fraude fiscale et blanchiment issu des fichiers Falciani« Si on veut une vraie négociation, il faut pouvoir négocier ! Donc il faut pouvoir être averti avant de ce que le procureur va proposer », renchérit Camille Potier.

La responsabilité des personnes morales n'a jamais été aussi forte 

Le risque est d'autant plus grand que ces dossiers font souvent l'objet d'une couverture médiatique parfois spectaculaire que les réseaux sociaux amplifient. « Les enjeux ne sont pas toujours de même nature. Parfois l'objet de la procédure n'est pas tant la question de la sanction que celle de la réponse à l'opinion publique telle qu'elle est reflétée par les médias et les réseaux sociaux. Ainsi, dans certaines affairesl'institution judiciaire adopte une posture qui peut négliger la règle de droit pour des raisons qui se voudraient symboliques et purement morales. », précise Bérénice de Warren, avocate notamment avec Jean Veil de Didier Lombard dans l'affaire des suicides de France Télécom.

« Nous sommes dans l'obligation de prendre en compte la défense, le droit, la logique économique, le risque médiatique, le risque pour les salariés », résume Stéphane de Navacelle, élu au Conseil de l'Ordre du barreau de Paris. L'avocat pénaliste d'affaires du futur est multicarte.

Valérie de Senneville, Delphine Iweins

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité