French Tech : ce que nous révèlent les 16 méga-levées de fonds de 2021 sur l'écosystème

Pluie de nouvelles licornes, domination des fonds américains, entrée fracassante de Softbank dans l'Hexagone, réveil des grands groupes français, gros problème d'attractivité des fonds d'investissement français et européens pour les meilleures startups tricolores, dynamisme plus fort au Royaume-Uni et en Allemagne... La Tribune a passé au crible les 16 méga-levées -tours de table supérieurs à 100 millions d'euros- de la French Tech en 2021. Ils sont très riches d'enseignements sur l'évolution de l'écosystème.
Sylvain Rolland
(Crédits : La Tribune)

1) Le verrou du late stage a bel et bien sauté, pluie de nouvelles licornes

On l'avait perçu en 2020, 2021 l'a confirmé avec force. Le "dernier verrou" du financement des startups, celui des "méga-levées" de fonds de plus de 100 millions d'euros, a définitivement sauté. A date, la French Tech compte 16 méga-levées à son actif en 2021. Cela représente plus du tiers (37%) de l'ensemble des méga-levées réalisées depuis 2012 (43). Et c'est de loin le record sur une année : il y avait eu 10 méga-levées en 2020, 5 en 2019, 3 en 2018.

Par conséquent, il n'y a jamais autant eu de nouvelles de licornes qu'en 2021. Pas moins de 7 startups ont rejoint le club -de moins en moins fermé- des entreprises tech non-cotées et valorisées au moins 1 milliard de dollars, ce qui porte leur nombre total à 17 en France. Les heureux nouveaux membres sont la plateforme de vente de luxe de seconde main Vestiaire Collective (mars), l'assurtech grand public Alan (avril), le champion de l'électronique reconditionnée Back Market (avril), la solution de détection des fraudes à l'assurance Shift Technology (mai), le spécialiste de la sécurisation des crypto-actifs Ledger (juin), la fintech du crédit aux particuliers Younited (juillet) et le pionnier des fantasy leagues de football à la sauce NFT Sorare (septembre). La France aurait même pu compter une 8è licorne avec Aircall en juin, mais le trublion des télécoms professionnelles a déménagé son siège social à New York il y a quelques années, et ne peut donc pas être comptabilisé parmi les licornes françaises...

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2) Vers davantage de levées à un demi-milliard d'euros

L'autre phénomène "licornes" de 2021, moins visible, est le fait que plusieurs "anciennes" licornes cartonnent et vivent une hyper-croissance spectaculaire qui les pousse -déjà- à relever encore plus d'argent. Le meilleur exemple est Vestiaire Collective, devenue une licorne en mars 2021 et qui a relevé 174 millions d'euros à peine six mois plus tard auprès de Softbank pour accélérer son expansion en Asie.

Devenue une licorne en mai 2020, la pépite du marketing ContentSquare est repassée à la caisse en mai 2021 pour lever 408 millions d'euros -record à l'époque, battu dès septembre par Sorare-. Même destin pour le champion des marketplaces Mirakl, qui, après avoir levé 258 millions d'euros en septembre 2020, a cette fois récupéré 472 millions d'euros un an plus tard. Le spécialiste des jeux vidéo sur mobile Voodoo (266 millions d'euros en juillet, un an après être devenu une licorne) et le "Amazon du bricolage et jardinage" ManoMano (299 millions d'euros en juillet, un an et demi après avoir gagné son statut de licorne, complètent la liste.

A l'exception de Vestiaire Collective, qui a relevé de l'argent très rapidement, les quatre autres déjà-licornes ont connu une inflation significative des montants levés depuis leur précédente méga-levée. Autrement dit : après avoir cassé le verrou des levées supérieures à 100 millions d'euros, la French Tech s'attaque au palier du demi-milliard d'euros. Sorare l'a directement atteint pour sa première méga-levée (580 millions), ce qui reste rare même ailleurs dans le monde. Elle est pour l'instant la seule pépite française dans ce nouveau club. Mais gageons que certaines des licornes existantes et l'argent étranger -notamment de Softbank ?- qui pleut sur la French Tech, vont entraîner de nouvelles giga-levées très rapidement.

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3) Les fonds français n'arrivent pas à séduire, les grands groupes prennent le relais

Grâce à l'argent du plan Tibi et à la structuration de l'écosystème de financement de late-stage, les fonds français ont enfin les moyens de mener des méga-levées de plus de 100 millions d'euros. Problème : ils n'en ont pas encore eu l'occasion en 2021. Aucune des 16 méga-levées de l'année n'a été menée par un fonds français, ce qui pose question sur leur attractivité.

"Quand on arrive au niveau de croissance qui nécessite une méga-levée, et d'autant plus quand on vise plusieurs centaines de millions d'euros, les enjeux de l'entreprise sont le marché mondial et éventuellement l'entrée en Bourse. Pour cela, les fonds internationaux, notamment américains, restent aujourd'hui plus attractifs que les fonds français ou européens, car ils ont une plus grande expérience, la compréhension intime du marché américain, et la connaissance du Nasdaq. Les fonds français et européens attirent plutôt des entreprises qui sont dans des secteurs qui nécessitent moins une présence active aux Etats-Unis", explique Franck Sebag, partner chez EY et spécialiste du capital-risque et de la French Tech.

Heureusement, les grands groupes tricolores permettent de sauver l'honneur. Deux des 16 méga-levées de l'année ont été portées par des géants français : il s'agit du champion du luxe Kering, qui a mené le tour de table de 178 millions d'euros de Vestiaire Collective en mars pour se diversifier dans le marché de la seconde main, et de Renault, qui a trouvé un intérêt stratégique à investir dans la greentech Vektor en juillet (100 millions d'euros).

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4) Les startups françaises très attractives pour les investisseurs étrangers

Si on change de perspective, la domination des fonds étrangers dans les méga-levées de la French Tech révèle aussi que les pépites tricolores sont enfin devenues très attractives pour les investisseurs internationaux, qui n'hésitent plus à courtiser les startups les plus prometteuses, persuadés que la France peut elle aussi faire naître des futurs géants mondiaux de la tech.

Ainsi, sur les 16 méga-levées de l'année pour l'instant, 12 ont été menées par des acteurs non-européens. Parmi eux figurent 9 américains, la plupart étant des fonds d'investissement : General Atlantic (Back market et Spendesk), Silver Lake (Mirakl), KKR (Ornikar), Coatue Management (Alan), Advent International (Shift Technology), 10T Holdings (Ledger) et Dragoneer Investment Group (ManoMano). Habituée des investissements dans l'Hexagone, la banque d'affaires Goldman Sachs a également réalisé un investissement majeur cette année, dans la fintech Younited.

Les trois autres méga-levées menées par des non-européens viennent toutes du japonais Softbank, qui n'avait jamais investi en France jusqu'à présent et déboule donc en 2021 dans l'Hexagone avec fracas. Le mégafonds nippon a notamment financé le plus gros tour de table de l'histoire de la French Tech -les 580 millions d'euros de la pépite crypto Sorare en septembre-, le tour de 408 millions d'euros de ContentSquare en mai, et la deuxième levée de l'année de Vestiaire Collective (174 millions d'euros en septembre).

Les pessimistes et les souverainistes noteront donc que les entrepreneurs français se laissent davantage séduire par l'argent des Américains et de Softbank que par celui des fonds français et européens. Seuls deux Européens ont mené une méga-levée en France cette année : le fonds britannique BC Partners pour la proptech Edgar Suites en mai, et le belge Groupe Bruxelles Lambert pour le champion des jeux vidéo sur mobile Voodoo en juillet.

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5) Le Royaume-Uni et l'Allemagne beaucoup plus performants que la France

C'est un fait : les méga-levées explosent en France, et les chèques sont même de plus en plus importants, s'approchant du demi-milliard d'euros pour les plus grosses opérations. Mais comment se situe le pays par rapport à ses voisins européens ? Malgré sa spectaculaire progression, la France est-elle toujours en retard vis-à-vis de ses voisins britannique et allemand ?

La réponse est oui. Et c'est mécanique : la France a commencé à développer son écosystème d'innovation plus tardivement que le Royaume-Uni et l'Allemagne. Ce retard à l'allumage se retrouve sur les dernières phases de croissance : les méga-levées, les licornes et les "sorties" (rachats et entrées en Bourse).

Les chiffres montrent que l'hyper-croissance des startups françaises n'est pas un phénomène isolé : tous les écosystèmes d'innovation matures ont vu leurs startups lever de plus en plus d'argent post-Covid. Il y a même un cercle vertueux : plus les écosystèmes sont matures, plus la dynamique a été puissante. Autrement dit, là encore le retard accumulé par la France lui porte préjudice, car l'explosion des levées de fonds a été encore plus forte au Royaume-Uni et en Allemagne.

D'après le baromètre du capital-risque de EY pour le premier semestre 2021, l'Allemagne avait levé en growth equity (méga-levées) 4,44 milliards d'euros, soit plus du double de la France (2,04 milliards d'euros). Le Royaume-Uni était sur une autre planète avec 9,64 milliards d'euros. Quid du second semestre ? En France, le troisième trimestre a enregistré autant de méga-levées (8) que le premier semestre, ce qui représente une accélération spectaculaire. Mais c'est également le cas outre-Rhin et outre-Manche... Il ne faut donc pas s'attendre à voir la France rattraper ses voisins dans le sprint final de la fin d'année.

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Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 29/09/2021 à 10:06
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Bref! Qui pensez vous qui va payer le "retour sur investissement"? De grée ou de force... le consommateur si ce n'est pas le "contribuable"!

à écrit le 29/09/2021 à 7:18
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Deux phénomènes intéressants. Le premier se sont des sommes de plus en plus grandes, ce qui veut dire que l'argent vaut de moins en moins (cf : BCE). Le deuxième, mettre de l'argent dans ces entreprises est préférable que dans des obligations d'Etat ...

à écrit le 28/09/2021 à 18:54
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Une licorne est une chimère ... surtout quand elle est française.

à écrit le 28/09/2021 à 14:20
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Quand on mise de l'argent sur des promesses, on peut s'attendre a l'arnaque du siècle... Les français ne sont pas dupe sauf les plus fortunés!

à écrit le 28/09/2021 à 13:06
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Petite correction : vous dites que Softbank "n'avait jamais investi en France jusqu'à présent". Pourtant, c'est faux. On peut au moins se souvenir du rachat d'Aldebaran Robotics en 2012 pour environ 100 M$. Une somme très élevée pour une start-up fra...

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