► « Un marché potentiel chez les plus jeunes »

Simon Borel, sociologue et responsable de l’Observatoire du rapport à la qualité et aux éthiques dans l’alimentaire pour la société d’études l’ObSoCo.

Dans notre dernier Observatoire, nous avons posé une question en rapport avec la viande de synthèse aux 4 000 répondants de notre échantillon représentatif de la population française. Pour 8 % d’entre eux, consommer de la viande de culture (réalisée en laboratoire) était envisageable s’il devenait nécessaire de baisser la consommation de protéines animales. Pour 82 %, en revanche, cela ne l’était pas.

Cela paraît peu mais, sur un marché français, 8 % représentent quand même quelques millions de consommateurs. En outre, si l’on segmente les résultats par âge, la proportion de personnes qui se disent prêtes à envisager cette consommation atteint 18 % chez les 18-24 ans.

→ ANALYSE. Agroalimentaire : viande cellulaire, des promesses et beaucoup d’inconnues

Il n’est pas impossible qu’un jour, si les Français se sentent rassurés de l’innocuité et la qualité gustative de cette viande, ce petit socle puisse entraîner une part un peu plus large de la population. Toutes proportions gardées, cela s’est passé ainsi pour les produits à base de protéines végétales adoptés au départ par les tenants du végétarisme ou du véganisme, et dont la consommation s’est diffusée à une part bien plus large de la population. Reste que la notion de viande de synthèse peut rebuter davantage que la consommation de végétaux.

Cette viande paraît en outre aux antipodes du désir de naturalité qui gagne de plus en plus de consommateurs, mais aussi du rejet de l’alimentation transformée et du désir de réassurance alimentaire. Elle peut néanmoins répondre à l’attente de certains, notamment la réduction d’impacts environnementaux et un meilleur bien-être animal.

► « Un renoncement à changer nos habitudes alimentaires »

Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214.

Le mouvement végan est partagé sur la question de la viande de culture. Certains y sont très favorables car si les chercheurs trouvent une alternative à l’utilisation de sérum fœtal bovin, cela évite de tuer des animaux. D’autres y sont hostiles car cela entretient le mythe que manger de la viande est nécessaire. La plupart, cependant, ont une opinion nuancée.

D’un côté, la viande cellulaire promet de résoudre de nombreux problèmes que l’élevage intensif entraîne : la cruauté envers les animaux, leur mort douloureuse, les nuisances environnementales avec moins d’émissions de gaz à effet de serre et moins de gaspillage de terres agricoles ou en eau… Les start-up du secteur mettent en avant leur volonté de lutter contre les pires conséquences de l’élevage intensif.

De l’autre côté, ces mêmes start-up illustrent la boutade : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? L’alternative à la viande existe : c’est l’univers végétal. Il évite les problèmes de l’élevage, y compris le développement de zoonoses, ces maladies qui passent de l’animal à l’homme et que l’élevage intensif risque de faire proliférer.

→ ANALYSE. Alimentation : la viande « végétale », déjà une réalité

D’une certaine manière, la viande cellulaire est un renoncement à changer nos habitudes alimentaires et à poursuivre des enjeux éthiques, sociaux, environnementaux qui passent par des décisions politiques. Nous demanderons aux candidates et candidats à l’élection présidentielle de s’engager sur l’interdiction de l’élevage intensif et de la pêche industrielle. Un autre objectif est lié : faire baisser de 50 % la consommation de viande, lait, œuf et poisson en cinq ans. C’est à notre portée via des politiques d’incitation notamment.

→ EXPLICATION. Les porcs ne pourront plus être castrés à vif

► « Des consommateurs désireux de manger une viande de qualité »

Marc Pagès, directeur général d’Interbev, Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes.

La filière élevage et viande suit avec attention l’évolution du marché des protéines animales de synthèse. Nous notons toutefois que l’Agence européenne pour l’environnement a émis fin 2020 des réserves scientifiques sur les réels impacts d’une technologie dont les processus de production sont encore en cours de développement.

Pour sa part, la mission principale de la filière reste de répondre aux attentes des consommateurs, désireux de manger une viande française de qualité, responsable et durable. Selon une enquête réalisée par Occurrence pour Interbev en décembre 2020, près de 90 % des personnes interrogées pensent que la viande est un aliment naturel et qu’elle a toute sa place dans une alimentation équilibrée.

→ RELIRE. La viande artificielle, une fausse bonne idée ?

Pour mieux répondre aux attentes en matière de production de viande d’un point de vue environnemental, de bien-être animal et de nutrition-santé, la filière s’est engagée depuis 2017 dans une démarche de responsabilité sociétale. D’où le choix, notamment, de développer les viandes sous signes officiels de qualité comme le bio, ou encore label Rouge – la part des viandes de bœuf label Rouge doit par exemple atteindre 40 % de l’offre d’ici à 2025.